Mind Control » Le Respect Pouria Nature Humaine. By: Magnus Olsson

Depuis son apparition à la surface de la terre, l’homme a cherché à établir un dialogue avec la nature dont il est issu et au sein de laquelle il vit. Dialogue inégal, où la nature a toujours le dernier mot; dialogue inconstant, au cours duquel l’homme en est venu progressivement à changer sa position: d’un sentiment de peur et de vénération, il est passé à un effort de compréhension puis à une tentative de domination. Mais entre-temps, l’homme oublie que jamais il ne pourra vaincre la nature, car les procédés avec lesquels il a prétendu la dominer menacent d’entraîner son propre anéantissement.

La vision primitive de la nature comme ensemble de toutes les choses, dont l’homme lui aussi faisait nécessairement partie intégrante, s’est perdue à mesure que ce dernier s’est affirmé en tant que sujet du savoir. Cette nouvelle attitude a impliqué une distanciation par rapport à la nature face à laquelle l’homme s’est posé comme un sujet face à un objet. Le développement du travail sur la nature et le perfectionnement de la technique ont contribué parallèlement à la mise en place d’une perspective qui définit la nature comme tout ce qui entoure l’homme sans provenir pour autant de son initiative. La nature en est venue à être conçue comme une totalité excluant l’humain. S’opposent dès lors le naturel et l’humain, la nature et l’homme, et s’établi une séparation qui, pour illusoire qu’elle est, n’en risque pas moins de devenir un véritable abîme.

L’action de l’homme sur la nature s’est progressivement diversifiée et élargie, pour atteindre aujourd’hui une dimension sans précédents: elle ne touche plus seulement au milieu physique, mais également au milieu biologique. Il est actuellement possible d’agir au niveau de la constitution de la vie elle-même grâce au développement du “génie génétique”, technique qui permet de modifier l’acide désoxyribonucléique (A.D.N.), véhicule de l’information génétique et, par conséquent, les supports matériels de l’herédité: les gènes. Cette technique a été progressivement appliquée à l’ensemble du mond vivant, des formes de vie les plus simples jusqu’aux plus complexes. Outre la capacité de transformation de la nature dans son milieu physique, nous sommes désormais confrontés à la possibilité croissante de transmuer, de métamorphoser les formes vives de la nature.

Dans la mesure où l’action humaine sur la nature s’exerce au niveau de la constitution des êtres, elle ne peut plus être considérée seulement en termes écologiques, mais exige une réflexion éthique. De fait, la perspective éthique dans l’analyse de la relation de l’homme avec la nature est devenue pressante dès lors que son action, d’ordre essentiellement technique, a cessé de viser simplement à une meilleure adaptation du milieu aux besoins toujours nouveaux et toujours plus nombreux de l’homme. En d’autres termes, on s’interroge sur l’éthicité du rapport de l’homme avec la nature depuis le moment où son action a cessé d’être considérée comme bien ou mal exécutée en fonction de l’effet immédiat obtenu, pour devenir susceptible d’être classé comme bonne ou mauvaise, en vertu du choix qu’elle implique d’une certaine manière d’être de l’homme.

C’est dans ce nouveau contexte que l’impératif éthique, en tant que réflexion sur ce qui doit ou ne doit pas être fait, en est venu nécessairement à s’imposer et à renforcer la pression qu’il exerce sur les normes légales qui règlent toutes les sociétés organisées. Nous nous proposons d’indiquer de quelle manière la réflexion éthique intervient dans les divers domaines d’application du génie génétique au monde vivant. En ce sens, nous commencerons par examiner les possibilités d’application du génie génétique au niveau des végétaux et des animaux. Nous insisterons ici sur la problématique des relations de l’homme avec la nature. Dans un second temps, nous envisagerons plus particulièrement l’application du génie génétique à l’homme. Nous nous situerons alors dans la relation de l’homme, non avec son environnement naturel, mais avec la propre nature humaine, considérée du point de vue spécifiquement biologique et définie par le génome humain.

Le génie génétique a été rendu possible à partir de la découverte du code génétique au début des années 60, et dans le sillage de la découverte de l’A.D.N. par Crick et Watson en 1953. Le code est universel et, pour l’essentiel, identique en tout le règne vivant. Les premiers travaux de recombination de l’A.D.N. ont commencé dans la décennie 70, et dès lors il a été possible de transférer, avec une extrême rigueur, des gènes d’un organisme à l’autre, même d’espèces très éloignées (les molécules à recombiner peuvent être transférées sur des cellules végétales ou animales in vitro ou in vivo).

Cette nouvelle technologie a commencé à être appliquée aux micro-organismes et aux végétaux avec des résultats positifs évidents, ce qui a constitué un fort stimulant à la poursuite de la recherche dans ce domaine. Les bénéfices les plus significatifs se situent au niveau de la production de plantes modifiées de manière à répondre aux objectifs agricoles ou industriels: plantes plus productives ou de plus haute valeur nutritive, plus résistantes aux maladies ou aux herbicides. Le génie génétique fourni aussi une contribution de grande valeur à l’industrie pharmaceutique en favorisant la production de substances à fonction thérapeutique, telle l’insuline pour le traitement du diabète, telle encore l’hormone de croissance pour le traitement du nanisme. Soulignons encore son emploi dans la lutte contre la pollution, surtout dans le traitement d’effluves hautement toxiques, et dans celui des résidus, par example dans la dégradation d’hydrocarbonates par une bactérie au génome recombiné. Simultanément, la création de plantes transgéniques (dont le génome a été modifié par l’addition de gènes provenant d’autres organismes) a constitué jusqu’à maintenant un notable succès, surtout em termes économiques.

Néanmoins, de telles pratiques ne sont pas absentes de risques, le plus grand étant celui de la propagation ou de la dissémination de l’A.D.N. recombiné dans le milieu ambiant. Les expériences réalisées en laboratoire, pour lesquelles on craignait la propagation de micro-organismes avec un génome modifié doué de nouvelles propriétés pathogènes, ne se sont pas montrées comme constituant un danger réel. Mais le cas des plantes transgéniques est différent. Celles-ci ont été cultivées également à l’air libre, tout d’abord sur une superficie réduite et sous des fortes mesures de contrôle, mais on tend de plus en plus à une culture sur une grande échelle, ce qui diminuera les conditions de sécurité. Par d’ailleurs, aujourd’hui comme demain, les risques ne peuvent être totalement éliminés. Cet aspect ne se présente pas, en soi et immédiatement, comme un argument contraire à l’application du génie génétique aux végétaux, tout travail scientifique entraînant inévitablement des risques. Is convient, néanmoins, de souligner que l’évaluation de tels risques se montre particulièrement difficile dans la situation actuelle et que, dans l’éventualité d’un accident, peut-être n’existera-t-il aucun recours pour éliminer ses conséquences. Les dangers les plus aisément prévisibles sont ceux de l’apparition de nouveaux virus et de la transformation, voire de la disparition, de certains écosystèmes.

L’application du génie génétique aux animaux est plus récente. Les premières modifications ont été realisées em 1983, et ont permis l’obtention de souris géantes, pesant jusqu’à deux fois leur poids normal, après avoir introduit par micro-injection l’hormone de croissance du rat dans les ovocytes fécondés de souris. Ces souris transmettent le gène recombiné à leur descendance. Toutefois, les techniques permettant d’insérer un nouveau gène dans le génome d’un organisme supérieur ne sont pas encore parfaitement controlées et les résultats sont loin d’être convaincants. Ce qui ne diminue en rien le nombre des projets de création d’animaux domestiques transgéniques car, d’un point de vue économique, il serait extrêmement avantageux de fabriquer des animaux comme “sur catalogue”, au choix du client (et dans la mesure des techniques bio-technologiques disponibles), animaux présentant tel ou tel aspect jugé intéressant, ce qui développerait la création de nouveaux produits ou services d’intérêt pratique. En outre, ces dernières années, ont eu lieu des expériences positives de modifications sur les animaux de certains de leurs organes destinés à des transplantations, dans le but d’éliminer les risques de rejet et de pourvoir à la pénurie d’organes. Ces initiatives laissent entrevoir une nouvelle forme d’utilisation des animaux par l’homme.

Toutefois, ce domaine de la recherche scientifico-technologique suscite lui aussi des critiques. L’une des plus générales est celle d’une artificialisation excessive des animaux domestiques, ou même d’une dénaturation des espèces animales. Le manque de respect à l’égard de la vie des animaux, à l’égard de leur identité en tant qu’espèce, peut faciliter, voire précéder une attitude semblable à l’égard de peuples qui, sous un prétexte quelconque, seraient jugés inférieurs. Dans une ligne de pensée voisine, on évoque également un manque de considération pour la souffrance imposée à certains animaux transgéniques (comme, par exemple, ceux qui sont programmés pour dupliquer certaines maladies humaines telles que le cancer, le sida ou la fibrose kystique). À partir du moment où l’on reconnait aux animaux la faculté de ressentir le plaisir et la douleur, on admet alors qu’ils possèdent des intérêts (et c’est ici que beaucoup trouvent une base théorique à la revendication des droits des animaux), intérêts qui doivent entrer en ligne de compte conjointement avec les intérêts des hommes.

L’application du génie génétique au monde vivant a pour conséquence la plus importante l’affirmation de la capacité humaine de manipulation de la nature. L’homme a conquis sur elle de nouveaux pouvoirs, et il peut désormais la réduire en toutes ses dimensions à des éléments objectivés sur lesquels il agit indifféremment, sans connaitre d’autres restrictions que celles imposées par la technique. Ainsi, chaque jour un peu plus, l’homme modèle et organise la nature selon sa mesure à lui, il lui fait perdre son caractère et lui vole sa différence spécifique. La progression dans une telle voie conduit inévitablement à affirmer la propriété de la nature, fait dont témoigne déjà l’actuelle possibilité de commercialisation d’une nature manipulée. Le défi techno-scientifique et la valeur économique de l’application du génie génétique aux plantes et aux animaux sont évidents et tendent à devenir chaque fois plus importants à mesure que croissent en nombre et en dimension les sociétés de biotechnologie. C’est dans ce contexte que s’explique le fait inédit, mais qui menace de devenir courant, d’enregistrement de brevets, tout d’abord de plantes et plus tard d’animaux (déjà approuvé lors de la convention de Rio de Janeiro sur la bio-diversité, 1992). Les brevets d’animaux transgéniques constituent la dernière et la plus radicale avancée de l’homme dans sa marche vers la maitrîse et la domination de la nature.

Les potentialités du génie génétique ne s’arrêttent pourtant pas à son application aux végétaux et aux animaux. Plus récemment, cette technologie s’est révélée susceptible d’être appliquée directement aux êtres humains, ce qui ne manque pas d’impliquer de nouvelles questions éthiques.

Sur le plan de la connaissance, il convient d’indiquer le “projet du génome humain”, qui vise à établir une carte complète du système génétique humain, et qui recueille chaque fois plus d’informations sur la chaîne génétique. Le coût fabuleux de ce projet de recherche pure, mais aussi ses éventuelles utilisations futures constituent des motifs de préoccupation. Parallèlement, la pratique des tests génétiques (pour l’évaluation de la situation génétique d’individus susceptibles d’avoir hérité telle ou telle condition particulière) et du screening génétique (examen systématique d’une population visant à la détection des individus porteurs d’une maladie déterminée) a considérablement augmenté. Les problèmes éthiques qu’impliquent de telles pratiques sont nombreux et complexes. Nous n’évoquerons ici que les souffrances psychologiques et physiques de ceux qui viennent à savoir qu’ils risquent d’être atteints d’une maladie déterminée; ou encore le fait que des compagnies d’assurance ou des employeurs en viennent à exiger de leurs clients ou employés un screening généthique, dont pourrait découler une discrimination fondée sur la constitution généthique de l’individu, et qui constituerait une violation de la vie privée. De même fauy-il noter l’association qui a parfois été faite de certains gènes à des traits de la personnalité de l’individu (intelligence, affectivité) ou à la manifestation de types déterminés de comportements antisociaux (criminalité).

Un autre domaine d’application du génie génétique à l’homme est le domaine thérapeutique. Une fois bien identifiés et bien localisés les gènes responsables de maladies déterminées (et certains d’entre eux sont déjà identifiés, tel le gène de la fibrose kystique), il sera possible d’introduire un gène normal dans l’A.D.N. cellulaire du tissu en cause. Actuellement, cette technique n’est envisagée que pour une intervention au niveau des cellules somatiques et, même ici, dans un domaine extrêmement restreint et seulement à niveau expérimental. Dans le cas d’une maladie héréditaire, l’individu en cause, même une fois guéri par thérapie génétique, continuera à avoir les mêmes probabilités de transmission de la maladie à ses descendants. Seule une intervention au niveau des cellules germinales pourrait définitivement mettre un terme à la transmission de la maladie. Cependant, si l’intervention au niveau somatique ne suscite pas de controverses éthiques notables, il n’en va pas de même pour des modifications produites sur la ligne germinale. Bien qu’une telle pratique ne soit encore envisageable ni à court ni à moyen terme, elle laisse déjà entrevoir la possibilité de sélection du sexe ou de traits physionomiques, ainsi que d’aspects psychologiques tels que l’intelligence ou la mémoire, ou encore des caractéristiques déterminées que l’on pourrait développer chez des hommes appelés à remplir des fonctions précises.

Nous n’avons évoqué ici que certaines des applications du génie génétique à l’homme mais elles suffisent, pensons-nous, pour affirmer que, de la manipulation des végétaux et animaux, on marche désormais vers la possibilité de manipulation de l’homme. Simultanément, nous avons évoqué des préoccupations éthiques qui ne sont pas seulement les nôtres, mais celles des sociétés en général, chaque jour plus éveillées à une interrogation sur l’éthos de l’homme, à la recherche de son “vrai lieu”. Nous pouvons conclure que le vertigineux accroissement du pouvoir de l’homme sur la nature a été accompagné, au cours des dernièrres décennies, par des préoccupations éthiques grandissantes et, en ce sens, par le développement d’une juste conscience des capacités humaines et d’un sentiment de responsabilité de ses agissements. Or, c’est précisement l’ensemble de ces deux facteurs qui détermine l’urgence aujourd’hui ressentie de repenser les relations de l’homme avec la nature et de redéfinir l’homme lui-même. Ce dernier pourra choisir une attitude conservatrice, visant inconditionnellement à maintenir untouchable le monde naturel dans sa bio-diversité, ou s’aventurer à mettre en pratique tous les recours offerts par les techniques, ou encore opter pour une position intermédiaire. La détermination de ce plan intermédiaire, tout comme au demeurant le choix d’une quelconque des deux autres attitudes, exige une réflexion éthique approfondie, car ce choix aura des conséquences pour l’homme lui-même, dans sa structure psycho-physique comme être naturel, mais aussi dans sa dimension spirituelle et spécifiquement humaine, en tant qu’il est doué de conscience de soi, de raison, de volonté et de liberté. C’est au niveau des valeurs, en tant que critères par lesquelles l’homme règle ses actions, que se centre la réflexion éthique. Et c’est en fonction des valeurs qu’il choisira que l’homme se définira en tant qu’homme.

C’est pourquoi s’annonce dès aujourd’hui un nouvel humanisme qui ne se fondera pas sur la part la plus excellente de l’homme, qui ne se confondra pas non plus avec une forme quelconque d’anthropocentrisme, mais qui fera appel à l’intégralité de l’être de l’homme et qui pourra s’étendre à la nature. Que l’on reconnaisse ou non le droit moral de la nature à sa survie, et celui des êtres vivants à demeurer tels qu’ils sont, il est aujourd’hui indéniable qu’il existe un devoir de l’homme envers la nature, devoir qui est indirectement, de fait et pour le moins, un devoir envers l’humanité elle-même.

C’est maintenant autour du droit de promouvoir le respect de la nature, dans le millieu ambiant qui nous entoure comme dans l’identité qui nous définit, en donnant force de loi au devoir, et en transformant l’exigence éthique en obligation morale.